Lorsque le Sensei s’en va

Des milliers d’entreprises occidentales s’efforcent de répliquer dans leur culture de travail la culture de l’excellence opérationnelle spécifique à Toyota. The Leadership Network observe comment Toyota Material Handling a ancré la façon de penser japonais à chaque équipe et processus en Europe. Cette série en 3 parties se penche sur l’adoption, l’adaptation et le maintien des pratiques Lean, en commençant par observer comment les leaders peuvent poser les bases d’une mentalité de l’amélioration continue.

La méthode Lean comme outil d’harmonisation

Derrière chaque fusion réussie se cache un processus de transition efficace qui allie deux cultures de travail différentes sans un soupçon de compromis sur la qualité du résultat. La plus grande entreprise de manutention d’Europe est née lorsque Toyota Material Handling Europe a acheté BT Industries, une entreprise suédoise spécialisée en chariots élévateurs. Les deux parties faisaient face à un défi : combiner deux structures organisationnelles distinctes pour maintenir le haut niveau de satisfaction des employés et répondre aux attentes des clients. En passant en revue les nouvelles usines qu’il a acquises, Toyota Material Handling a dû mettre en place des méthodes pour adapter des centaines de travailleurs, avec leur personnalité, expérience et compétences propres, à la mentalité de l’amélioration continue.

Les défis de la transition ont été pris à bras le corps avec des senseis, les maîtres des principes Lean, envoyés du Japon pour stimuler le changement dans la culture du travail et aider l’ensemble du personnel à apprendre comment s’améliorer et s’adapter. Cette nouvelle pensée Lean a été encouragée afin de se lancer dans l’aventure l’esprit ouvert et avec une volonté de transformer les habitudes et les processus pour un mieux.

Toyota Material Handling s’est embarqué dans un processus qui a engendré de l’anticipation, beaucoup d’énergie et de concentration. Mais lorsque les senseis sont partis, l’enthousiasme a commencé à disparaître et les employés à exprimer leurs préoccupations. Alors que le personnel commençait à remettre ce nouveau mode de pensée en question, l’entreprise a dû creuser plus loin pour réaffirmer l’engagement aux changements et renforcer le point jeté entre les cultures.

 

Les leaders Lean ouvrent la voie

C’est à ce moment critique que la direction de Toyota a dû relever le défi de maintenir le travail des senseis. Stefano Cortiglioni, Head of Transformation à la Lean Academy de Toyota à Bologne, souligne les conclusions tirées dans chaque domaine de l’entreprise en transformant ses valeurs en actions. « Je suis convaincu qu’un facteur clé de l’intégration de la méthode Lean aux comportements quotidiens et aux systèmes organisationnels est le fait d’apporter de la cohérence et d’aider chaque membre du personnel », affirme Stefano Cortiglioni.

La culture Lean a pour priorité d’instaurer un lien entre les travailleurs et l’entreprise en leur donnant l’impression de s’impliquer dans sa mission. Encourager les employés à élaborer des règles ensemble motive tout le monde à les suivre et permet de gérer l’entreprise plus comme une famille que sous forme hiérarchicale. Lorsqu’ils rejoignent une entreprise européenne, les gens s’attendent à ce que les règles soient inscrites dans la pierre. Mais chez Toyota, ils se rendent compte que l’entreprise se base sur des valeurs familiales, qu’elle est gérée à l’aide de règles justes et flexibles mises en place par le personnel lui-même. Hoshin Kanri est une forme de gestion pleine de sens qui règne en maître au sein de Toyota. « Hoshin » signifie « direction », tandis que « Kanri » signifie « gestion ». Ce concept décrit le déploiement de l’objectif à moyen terme de l’entreprise dans le cadre duquel chaque employé travaille dans la même direction en vue du but final.

Les senseis ont transmis la philosophie Kaizen, qui signifie « changement pour le mieux » ou « amélioration continue » en récompensant les pratiques de travail positives des employés les plus talentueux, connectés et déterminés. Les senseis ont aidé les responsables à regarder au-delà des défis immédiats et à se concentrer sur les besoins des clients. Le renforcement positif est crucial pour continuer à motiver les travailleurs à viser sans cesse à améliorer leurs processus. Mais chez Toyota, les récompenses vont au-delà de l’argent. Les leaders sont encouragés à témoigner leur appréciation du travail d'un individu ou d’une équipe. Aozora Ichiba, un salon annuel au Japon, sert de plateforme où les bonnes idées des employés, quel que soit leur grade, sont présentées. Visitée par le président, les vice-présidents et le conseil de l’entreprise, il donne aux employés l’opportunité unique de se démarquer en se faisant reconnaître et en partageant leurs idées avec leurs collègues au sommet de la hiérarchie.

Ces individus jouent un rôle clé dans le soutien de la culture Lean. Le pouvoir amène avec lui des responsabilités. Un leader performant ne se mesure pas qu’aux résultats. La méthode Lean oblige les leaders à se poser comme mentor, comme un père âgé aiderait ses enfants au Japon. Les responsables doivent établir un lien personnel et professionnel avec leurs équipes et prendre le temps d’aborder les problèmes et fêter les réussites. Les équipes sont encouragées à établir un lien émotionnel, tandis que les leaders doivent aider et intégrer tout le monde à la culture de l’entreprise pour atteindre les résultats désirés.

 

Implémenter la méthode Lean dans une entreprise occidentale

Lorsque les senseis ont laissé la gestion aux responsables européens, ils leur ont donné une suite d'outils pour maintenir les excellents standard attendus par le personnel et les clients. Chez Toyota, le client est à la fois internet et externe. Traiter le personnel avec autant de respect qu’un client final est une véritable qualité Lean.

L’attention aux détails est un autre facteur clé qui a aidé Stefano Cortiglioni à maintenir une culture de l’excellence opérationnelle. Il se souvient avoir commencé à manquer d’espace dans l’une des usines au fur et à mesure que l’entreprise grandissait. Un tour Gemba (visite du site) a montré la possibilité de résoudre ce problème en évitant simplement de stocker les composants en grande quantité. L’entreprise s’est donc arrangée avec les fournisseurs pour que les composants soient livrés « juste à temps ». Il conseille d’avoir un œil partout pour améliorer les KPI, une qualité Lean.

Ancrer la méthode Lean demande du temps et de la patience et nécessite que la direction prenne les rênes tout en ayant la possibilité de trouver sa mission. Le problème de la faute est un point de contraste fascinant entre les cultures de travail occidentale et orientale. En occident, nous attribuons les erreurs au personnel. Les dirigeants japonais n’acceptent pas que l’on pointe simplement les gens du doigt. Si quelqu’un travaille sans le soutien de bons processus, le responsable assume la responsabilité du manque de processus qui a mené à cet échec.

En Occident, il est commun de réagir à une erreur professionnelle en se demandant qui est le coupable. Toyota Material Handling, lui, encourage les leaders à se demander où est le problème, une question typiquement japonaise. Les problèmes d’entreprise et non de personnel sont presque toujours le coupable, et ils peuvent être résolus en toute transparence.

 

Le point de vue d'un consultant Lean

Stefano Cortiglioni explique comment la direction continue de stimuler la culture Lean en mettant en exergue le concept Lean de la réussite, qui est mesuré par la satisfaction de l’équipe plutôt que par des chiffres. « Si une équipe est forte et engagée, les chiffres suivront. Les leaders doivent avoir entièrement confiance en leurs équipes et comprendre qu’ils ne peuvent pas tout gérer seuls. Ils doivent identifier leurs points forts et leurs points faibles et s’entourer de personnes qui ont des talents qu’ils n’ont pas. »

Stefano Cortiglioni se souvient du début de sa carrière et des difficultés qu’il a eues à établir la réunion du matin comme une réunion debout au cours de laquelle les gens peuvent discuter et résoudre les problèmes de qualité (le concept japonais de l’Asaichi est une pierre d’angle de la méthode Lean). « Il était impératif que cette réunion ne serve pas à chercher les coupables des erreurs ou d'une mauvaise gestion », confirme-t-il. En tant que leader Lean, il a favorisé la discussion et l’entraide et est fier d'affirmer que la réunion Asaichi quotidienne rassemble chaque jour de nombreux employés, même quand il n’est pas là. Preuve s'il en est des fortes valeurs de leadership de Stefano Cortiglioni qui montrent qu’un leader n’est bon que quand son équipe l’est aussi en son absence.

Stefano Cortiglioni cite la gestion quotidienne comme un pilier de son travail. S’ils veulent se faire une bonne idée de l’alignement par rapport aux objectifs, les responsables doivent identifier le premier signe de déviation et permettre une résolution précoce du problème. Toutes les usines consignent chaque jour et chaque heure les objectifs, les normes, les déviations ainsi que les analyses, offrant ainsi un chemin clair vers l’objectif. La gestion visuelle est une approche fondamentale de la méthode Lean. Tous les KPI, tendances et résultats sont affichés dans toute l’usine afin que tout le monde y ait accès.

La pose de bases permettant à tout un chacun de s’épanouir, de la salle de courrier à la salle de conseil, est un défi auquel les entreprises du monde entier sont confrontées. L’adoption d’une véritable mentalité de l’amélioration continue, comme le font si bien les leaders japonais, peut engendrer un changement fondamental et puissant. Les senseis ne sont peut-être plus physiquement dans les usines européennes de Toyota Material Handling, mais leur présence continue d’inspirer au fur et à mesure que l’entreprise grandit.

 

Cet article a été rédigé en collaboration avec The Leadership Network.

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